s i n i s t r e poupée (K A T)

(un) Un cinq février, t’as vu l’jour. Il faisait froid cette nuit-là. Tes parents, c’la rare fois où ils étaient l’un comme l’autre présent, à tes côtés. Quant à ton grand-frère, il n’avait pas pu s’déplacer. Sam, elle, elle avait neuf ans et était ravie d’avoir une petite-sœur. Du moins, c’est l’impression qu’ses traits de visage donnaient quand elle a appris que tu venais enfin d’être mise au monde. Elle semblait si joyeuse de pouvoir être grande-sœur à son tour, protéger le petit bout d’chou qu’tu étais. Mais en réalité, c’est parce qu’elle s’sentait moins seule, qu’enfin elle saurait qu’elle n’supporterait plus les heures passants en étant mise de côté. Cette fois, elle passerait du temps avec quelqu’un dans le même cas qu’elle qui ne l’abandonnerait sûrement jamais. (deux) Les parents souvent absents. C’pas pour autant qu’ils n’t’ont rien imposé. En effet, dès l’âge de cinq ans, ils t’ont payé des cours de danse et tu étais obligée de t’y rendre. Si tu n’y allais pas, ils t’y forçaient quoi qu’tu puisses inventer comme excuse. Mais la danse, bien qu’ça t’permettait d’te défouler, ça n’avait rien de plaisant à tes yeux. Loin de là. Toi, c’qui t’aurait le plus convenu c’les sports de combat tel que la boxe que tu adorais regarder lorsque ça passait à la télévision. Malgré le nombre de fois où tu rechignais, faisais comprendre ton désir d’arrêter la danse moderne pour débuter la boxe, ils te riaient au nez. Sam de son côté, elle continuait le piano qu’ils lui avaient tout autant imposé lorsqu’elle avait cinq ans. Du moins, c’est ce qu’elle t’avait raconté la fois où tu disais en avoir assez. Elle te racontait que finalement, ça n’était pas si mal d’avoir le droit à une activité. (trois) Votre grand-frère il passait de temps à autre, en simple coup de vent. Tu ne sais pas grand-chose de lui, à vrai dire. Etant la plus jeune des trois, rares sont les instants passés à ses côtés dont tu te souviens. Pourtant, le fait qu’il ne vive pas sous le même toit que vous t’a causé un manque dès ta plus tendre enfance. T’aurais aimé avoir la possibilité de le connaitre un peu plus, de t’amuser avec celui qui avait l’air aussi gentil et soucieux envers toi que Sam l’est encore aujourd’hui. (quatre) Depuis ton adolescence, tu t’es aperçue de beaucoup de choses déplaisantes. Tes parents, en particulier ton père, ne cessait pas de vous dire que tout allait bien alors que ça n’était pas le cas. Tu n’as jamais accepté d’être dupe, Kat. Et contrairement à ta grande-sœur, toi, dès le plus jeune âge, tu démontrais ton désaccord. Tu n’as jamais voulu agir selon leurs dires. Tes faits et gestes, tu les réalisais uniquement grâce à tes souhaits que cela les agaçait ou pas. D’ailleurs, t’as fini par y prendre goût à leurs menaces pesantes, celles qui n’ont pas stoppé malgré les années. Celles qu’ils te balançaient avec pour ambition de te faire changer d’avis. Sam est la lumière tandis que tu es l’ombre. Peut-être qu’ils ont eu la capacité d’influencer Sam mais toi, jamais ils n’en ont eu l’occasion. Que ce soit pour le fait de t’interdire de fréquenter telle personne voire même ta profession actuelle. Peu importe ce qu’ils tenteront, de ton côté, rien ne changera. Tu persisteras à être celle que tu as décidé d’être. (cinq) Ce fameux jour où tu leur as calé les quatre vérités, leur citant la majorité des reproches que tu gardais au fond de toi depuis ces dernières années. Ce jour où tu as catégoriquement refusé de travailler dans l’hôtel malgré l’accord de Sam. Tu t’en souviens encore de ces minutes de cris, de tentative de persuasion inutile et de paroles insensés. C’était la fois de trop. T’étais dans l’impossibilité d’supporter leurs médiocres mots. Ils prétendent te connaître alors qu’en vérité, il n’en est rien. La preuve en est, jamais ils n’ont su ce que tu faisais durant ton adolescence. Les dites mauvaises fréquentations que tu as fait de nuit quand t’avais eu l’temps d’te barrer d’la maison, jamais ils n’en ont su quoi que ce soit à ce sujet. De même pour les actes illégaux dans lesquels tu t’étais fourrée malgré l’âge qu’t’avais. L’danger qu’t’avais encouru et qui t’suit probablement encore. (six) Des personnes qui ont pris la place de vos parents, vous en avez vu défiler et ce, tous autant mieux que votre propre sang. Or la mort d’une des nounous a fortement secoué Sam qui a dû prendre la relève et se préoccupait de toi en 2007. Lorsqu’elle a dû consulter un psy pour la première fois, t’avais du mal à t’dire qu’ça l’aiderait. Au contraire, t’étais persuadé qu’ça n’ferait qu’la démoraliser plus qu’elle ne l’était déjà. T’as donc fait en sorte d’être là pour elle, tu ne l’as jamais délaissé. De même pour ce jour qui est ancré en vos mémoires, celui où elle a reçu sa greffe. Tu avais cette crainte qui te confrontait à la réalité et tu as su être forte, refusant de lui montrer. Bien que ce soit elle la plus âgée, tu assures parfaitement le rôle de la protectrice. Tu l’as vu souffrir à plusieurs reprises, c’est pourquoi tu ressens de la haine envers ta propre chair. Sachant très bien que si elle ne va pas aussi bien qu’elle le prétend, seuls eux sont les fautifs. T’es consciente que si Matthew n’a plus donné signe de vie, c’est à cause d’eux, à toujours vouloir être derrière votre dos et contrôler vos sentiments. Et tu en as eu la preuve, tu l’as entendu ce coup de fil durant lequel ton père ne cessait pas d’intimider Matt, lui répétant de quitter la ville au plus vite, le menaçant qu’en cas contraire, ça irait très mal et qu’il n’aurait aucune gêne à le poursuivre. Mais tu préfères ne pas en parler, ne pas t’en mêler pour autant. (sept) Sam, c’est une fille passionnée par le dessin et la peinture, t’en es consciente et t’as toujours voulu la voir heureuse, atteindre son rêve. Mais elle ne semble pas libre, toujours dissuadée par vos parents qui ne vivent pas à vos côtés, pourtant. À cause de ça, il y a eu de nombreuses disputes entre vous deux. La voir dans de tels états par leur faute t’agace particulièrement. Tu n’as jamais compris pour quelle raison ça perdurait dans ce sens-là. Tu songes d’ailleurs à leur dire une grosse merde, à les renier de ta vie mais tu te dis que ça pourrait effondrer ta grande-sœur alors tu tentes de garder ton calme, de résister malgré cette envie qui te démange de plus en plus. Il t’arrive de succomber au mal, de te laisser aller. Pour évacuer, t’as repris récemment tes petites affaires. La nuit, tu files régulièrement dans de nombreux lieux sinistres, aimés des infréquentables, des défoncés. Rien à voir avec le décor luxueux qui est censé te bercer. Parfois certains te demandent comment cela se fait-il qu’une fille à papa traîne dans de tels endroits. Alors tu te mets à rire, leur répondant que tu es loin d’être la fille à papa mais plutôt celle qui lui a toujours causé des ennuis, n’a jamais accepté d’aller dans son sens et qu’il doit ne plus aimer. Tu te contentes de sourire quand on te dit que tu sembles ailleurs, qu’t’es pensive et qu’tu veux t’en sortir. T’es une battante. Bien sûr, t’as eu des difficultés à traverser mais jamais tu n’as voulu laisser le mal te surmontait. Jamais. (huit) Tu as fait quelques études dans le domaine du droit que tu as finalement abandonné du jour au lendemain, ayant du mal à te contrôler dès que tu entendais des victimes racontaient ce qu’ils subissaient. La danse, t’as pris la décision d’arrêter dès l’âge de vingt-ans, également. Tu voulais enfin te sentir libre et tu n’en es pas loin. Le soucis, c’qu’à la même période, t’as rencontré cette fille qui a su te manipuler avec son regard charmer et son look un poil provocateur. C’est en partie grâce à vos nuits ensemble que tu as compris ta bisexualité. Et aussi à cause de ces moments que tu es devenue quelqu’un de plus violente. Non seulement tu la défendais chaque fois qu’elle merdait mais en plus de ça, tu fonçais toujours la tête baissée sans te soucier de ce que tu risquais. Puis ça t’a permis de trouver ton job, celui en tant que serveuse au red lion, bar réputé pour ses fameux néons cachant pourtant de sales affaires. Affaires dans lesquelles tu acceptes de te fourrer quoi qu’il puisse se produire derrière. Tu te débrouilles plutôt bien pour quelqu’un n’étant pas allée jusqu’au diplôme. Tu sais être discrète lorsqu’il le faut et tu utilises les années de danse derrière toi parfois pour envoûter plus facilement vos clients.(neuf) Manchester est loin de te manquer. Encore moins les nombreux appels qu’ont l’audace de te faire tes parents. Ils sont encore là, à vouloir te faire changer d’avis et toi tu ne leur réponds plus. Ça va faire dix jours que tu as choisi de ne plus leur donner signe de vie, espérant qu’ils puissent avoir ce déclic, comprendre ce que ça fait d’attendre une réponse sans ne jamais la recevoir. Hill Head te semble bien mieux comme ville, ce, malgré les nombreux drames qui semblent s’y produire. Tu t’es habituée à l’ambiance qui règne ici. (dix) Tu t’comportes telle une gosse, t’es loin d’les faire tes vingt-et-un ans. T’en fais limite dix-huit. Et ça a l’air de plaire à certains. Ils n’obtiendront jamais ce qu’ils recherchent : ce cœur qui a autrefois bat pour quelqu’un l’ayant presque démoli. T’es du genre à apprécier la présence de quelques fêtards, t’aimes parfois la jouer provocatrice mais si ça va trop loin, tu démontres que tu es contre. Si l’intéressé persiste, la sympathique se transforme en impulsive et ta rage refait surface. Dans ces situations-là, mieux vaut n’pas se situer dans les parages. La dernière fois que ça s’est produit, le gars a fini en sang et en larmes tellement la douleur était forte. En dehors de ça, t’as toujours aimé te nourrir. C’est d’ailleurs l’un des points communs que vous partagez depuis gamines Sam et toi. Pour ta part, c’est la malbouffe qui te plait le plus. On peut te croiser régulièrement dans des fast-food ou pâtisseries les plus réputées de la ville.